(1494-1553)
Ou l´incitation à la fronde
François RABELAIS
François Rabelais, l´humanisme et la Renaissance sont nés à la même époque et symbolisent le sortir de l´humanité des ténèbres d´un Moyen-Age avilissant. A la prise de conscience de l´individu en tant que tel, Rabelais a pris une part considérable, en ce sens qu´il l´a affranchi de ses angoisses, de l état d´inconscience, de passivité et de méconnaissance de soi que l´ Eglise avait si bien entretenus à ses propres fins pour mieux gouverner. Rabelais va se servir pour cela comme ses deux autres non moins célèbres contemporains Cervantes et Shakespare d´un outil redoutable, le rire. Le rire que, jeune médecin à Montpellier, il a déjà recommandé et utilisé comme remède à de nombreux maux physiques et psychiques. Des trois, le Français est cependant le plus proche du peuple, celui qui connait le mieux et ses moeurs et son langage, ses dialects, ses rituels, ses fêtes pour l´avoir cotoyé dans ses années de prêtre prédicateur sur les routes de France avant d´opter pour une autre voie humanitaire, celle de la médecine. Cette double approche du peuple lui confère sans aucun doute une connaissance privilégiée de ses contemporains. Curieusement, après avoir fait partie avec Ambroise Paré des médecins les plus illustres de la Renaissance, il se tourne vers la littérature pour devenir un des auteurs les plus populaires de son temps dont les livres (notamment les deux premiers Pantagruel et Gargantua) vont atteindre de plus plus hauts tirages que la bible. Rabelais, l´intellectuel, le savant, le lettré, l´humaniste (il pratique le latin et le grec couramment) au savoir encyclopédique, change alors de camp: il se transforme en dissident, un dissident farceur. En effet, il s´attaque à tout ce qui lui paraît alors digne de réforme: l´éducation, la justice, la médecine, la politique et emprunte pour cela la voie royale du rire, du rire tonitruant, spectaculaire, culbutant. Il tourne tout à la dérision dans le but bien précis de libérer le peuple du joug de la peur de l´enfer, peur savamment distillée par l´Eglise toute puissante. Et il le fait dans la langue grossière et vulgaire du français à une époque où les gens cultivés utilisent le latin comme langue officielle. Il célèbre le vulgaire, dans une véritable inflation verbale, pratiquant l´hyberbolisme sans retenue. Il appelle à la vénération du scatologique, du bas corporel qu´il investit de toutes sortes de vertus: fonction de lien (les excréments sont le seul lien solide entre soi et la terre), fonction de libération et de bien être (déféquer assure le bien-être, voire la béatitude, histoire de parodier l´Eglise), fonction de continuation du monde (les excréments fertilisent la terre, assurant le processus nourricier, le sperme aussi assure la continuation de l´humanité): Rabelais va s´attirer les foudres des générations suivantes qui ne verront en lui qu´un personnage révoltant de grossièreté alors qu´il était un révolutionnaire pacifique dont la seule arme n´a jamais été que le rire.